Entrevue avec Alexandre Campeau-Lecours
- Pouvez-vous décrire brièvement votre parcours académique ?
J’ai d’abord effectué un baccalauréat à l’École Polytechnique de Montréal en génie mécanique avec une concentration mécatronique c’est-à-dire qui combine mécanique, électronique et algorithmes. J’ai ensuite effectué un doctorat à l’Université Laval avec une spécialisation en collaboration humain-robot où j’ai développé des robots afin d’aider les travailleurs en industrie à soulever et déplacer des charges lourdes. Par la suite, j’ai travaillé trois ans en industrie chez Kinova où j’ai participé au développement du bras d’assistance robotisé JACO qui vient en aide aux personnes vivant avec des incapacités.
- Pouvez-vous décrire vos projets de recherche en 3 phrases ?
Les travaux de notre équipe se situent en ingénierie de la réadaptation. Nous développons des technologies basées sur des mécanismes avancés, la robotique et l’intelligence artificielle afin d’assister les personnes en situation de handicap et les aînés ainsi que pour la prévention de blessures au travail. Au cours des dernières années, nous avons par exemple développé des aides à l’alimentation, une aide à l’écriture manuscrite, des supports de bras, un exosquelette et des interfaces de contrôle pour système robotisé et l’accès à l’ordinateur.
- À quel moment, avez-vous compris que vous vouliez être chercheur ?
Tard ! Après mon baccalauréat, j’ai entrepris une maîtrise afin de pousser mes connaissances en robotique. J’ai ensuite voulu poursuivre au doctorat car je voulais pousser encore davantage mes connaissances en robotique en combinant les algorithmes intelligents, l’électronique et la mécanique. Je me suis ensuite enligné vers la R&D industrielle en travaillant 3 ans en industrie avant de vouloir revenir en recherche à l’Université. Mon rôle comme chercheur à l’Université me permet d’explorer plusieurs problématiques appliquées qui m’intéressent, tout en travaillant avec différentes compagnies et des équipes interdisciplinaires dans différents domaines.
- Qu’est-ce qui vous passionne le plus, à propos de votre projet de recherche ?
Le premier aspect est d’utiliser des connaissances pointues en ingénierie de la réadaptation et en robotique afin d’avoir un impact réel. Par exemple, en concevant des solutions robotisées aidant des personnes en situation de handicap à gagner ou regagner en autonomie, comme de pouvoir s’alimenter par eux même. Un autre aspect ultra important c’est de travailler avec mon équipe, qui est composée d’étudiants et de professionnels de recherche, qui sont jeunes, fougueux et passionnés. Ça me garde jeune et ça rend le travail tellement le fun. Ce sont eux aussi au final qui font le travail de développement; les fruits que l’on récolte c’est tout grâce à eux. Ils ont tous des projets en ingénierie de la réadaptation qui visent à améliorer la qualité de vie des gens et c’est donc motivant que toute l’équipe soit dans le même domaine parce qu’on peut beaucoup s’entraider et ce qu’on apprend dans un projet peut servir directement dans le projet de quelqu’un d’autre.
Finalement, nos travaux sont de nature hautement interdisciplinaire. Au sein des projets, nous travaillons avec des équipes en ergothérapie, physiothérapie, kinésiologie et d’autres domaines du génie, ainsi qu’avec le milieu clinique et les utilisateurs finaux des technologies. C’est donc vraiment très stimulant. Notre équipe partage son temps entre le Cirris et le laboratoire de robotique de l’Université Laval. Le Cirris c’est très particulier parce que nous sommes des équipes de plein de domaines très différents qui sont tous au même endroit, avec un but commun, et ça favorise beaucoup les échanges. J’adore le Cirris, c’est une gang extraordinaire et je trippe vraiment vraiment beaucoup à y travailler autant pour la recherche que pour le côté social.
En fait, avec tous ces aspects, je me demande même souvent pourquoi je suis payé pour faire ce travail (mais ne le dites pas à l’Université).
- Selon vous, quelle va être la prochaine tendance dans votre domaine ?
La prochaine tendance deviendra un plus grand focus sur l’interdisciplinarité et sur un processus centré sur les utilisateurs finaux. De manière générale, trop d’équipes travaillent encore isolées en silos. Les technologies et les connaissances dans différents domaines avancent à une vitesse fulgurante. Mais la technologie pour la technologie ne sert à rien si elle n’est pas adaptée à l’application finale. Et on ne peut pas par exemple juste mettre une sommité en génie et une sommité en médecine dans une pièce pendant une heure et espérer qu’il en ressorte quelque chose. En fait ils ne comprendront pas le domaine de l’autre. Pour obtenir une vraie interdisciplinarité, il faut travailler ensemble au quotidien et prendre de l’expérience dans les autres domaines, pour que chacun intègre les savoirs des autres. Je crois que les futures innovations proviendront d’une interdisciplinarité accrue, à travailler directement ensemble et à fondre les domaines de connaissances. Et au final, il ne faut pas développer des produits seuls dans nos bureaux. Il faut co-développer dès le départ avec les utilisateurs finaux et les parties prenantes pour que les solutions répondent aux besoins. La meilleure solution n’est pas la solution la plus technologiquement avancée. C’est plutôt la solution la plus simple qui répond le mieux au besoin.
- Que voulez-vous voir changer dans votre domaine, d’ici la fin de votre carrière ?
En recherche en génie, le focus est beaucoup sur la technologie pure. Il faut une plus grande ouverture sur l’interdisciplinarité et le focus sur les besoins réels des utilisateurs finaux. Dans les conférences technologiques, on peut voir des solutions technologiques avancées qui sont célébrées pour avoir attaqué un problème. Par contre, la plupart de ces solutions ne se retrouvent pas ensuite dans la vraie vie. On est allé sur la lune il y a 50 ans mais il y a encore plusieurs personnes qui ne peuvent pas manger sans l’aide d’un aidant. C’est souvent ce qui arrive si la technologie a été développée en silo ou bien qu’elle est beaucoup trop couteuse pour être utilisable. Même si on développe un super robot avec plein de capacités, personne ne va l’utiliser s’il coûte 200k$ ou même s’il ne marche juste que 98% du temps.
- Quelle invention ou technique auriez-vous souhaité créer ?
Une barre mécanique qui permet aux aînés avec des difficultés de motricité à monter des escaliers de manière sécuritaire. L’aide technique classique est un monte escalier électrique qui permet de transporter les gens en haut des escaliers. Ces systèmes sont par contre très couteux et donc peu accessibles. Récemment, une jeune ingénieure en Europe a inventé une simple barre qui se place sur la rampe d’escalier. Par un principe mécanique de bras de levier, la barre s’auto-bloque et ne bouge sur la rampe que lorsque la personne le veut vraiment. Cette barre vaut 100$ au lieu des 20 000$ pour les monte escaliers électriques et est donc beaucoup plus accessible pour aider un grand nombre de gens. Ce que je trouve intéressant de cette invention, c’est que ça aurait pu être inventé il y a 200 ans. Mais ça prenait quelqu’un pour s’intéresser au problème et vouloir faire une différence.
- Quelles sont les 3 qualités que vous recherchez chez vos étudiants ?
– La curiosité, le désir d’apprendre.
– Se donner au maximum et vouloir se dépasser pour soi-même.
– L’organisation et la gestion de projet.
– La passion envers leurs projets et le désir de toujours vouloir faire mieux.
– Qu’ils n’aient pas peur d’échouer. L’échec n’existe pas, c’est un apprentissage. On apprend et on recommence mieux.
– L’esprit d’initiative.
– Qu’ils me remettent en question (mais pas trop).
– Quand je leur demande de nommer 3 items, ne pas dépasser 3, franchement…
It doesn’t make sense to hire smart people and tell them what to do; we hire smart people so that they can tell us what to do. Steve Jobs.
- Quel livre a changé votre vie ?
Getting Things Done de David Allen. Avec ce livre j’ai décuplé ma productivité et énormément diminué le stress associé à toutes les millions de choses à faire et à penser avec le travail, la vie et les enfants.
- Quel conseil donneriez-vous aux étudiants qui cherchent un stage postdoctoral ?
Je n’ai pas fait de stage post-doctoral. J’ai préféré travailler en industrie. Ceci m’a sorti du monde de la recherche et m’a donné une expérience et une vision des choses toute autre que si je n’étais que resté dans le domaine académique. Cette expérience a totalement changé ma vision des choses et a grandement influencé la manière dont j’ai aligné mon programme de recherche. Je referais le même choix sans hésiter. Le stage post-doctoral est par contre intéressant pour pouvoir continuer à publier car la productivité scientifique est un facteur important pour l’embauche des professeurs et pour obtenir des subventions par la suite. Je suggérerais donc fortement de changer de milieu et de prendre de l’expérience dans l’encadrement d’étudiants, des demandes de subventions en assistant votre directeur, et bien sûr de publier.
- Une citation
The people who are crazy enough to think they can change the world are the ones who do. Steve Jobs.
Alexandre Campeau-Lecours